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Faut-il rester ou quitter la plateforme X ?

Publié le 04/03/2025

À l’occasion d’un débat réalisé au Press Club, Édouard Fillias, CEO de JIN, s’est vu poser cette question cruciale. À l’aube de 2025, de nombreuses entreprises, personnalités, médias et politiques ont claqué la porte et quitté définitivement X. Un choix audacieux, mais également très lourd de conséquences. Nous vous proposons ici la réflexion de notre fondateur répondant aux questions de Florence Duprat.

L’image de X en Europe, et plus particulièrement en France, est aujourd’hui bien différente de la réalité de son usage. Il est essentiel de séparer ces deux aspects : l’image perçue de la plateforme, souvent associée à des événements comme les concerts d’André Rieu ou les restaurants “All you can eat”, et l’utilisation effective, plus variée et parfois plus pragmatique. “Mon objectif est de conseiller mes clients afin qu’ils soient présents là où ils doivent être influents et entendus. Le commerce, c’est avant tout l’ouverture”, déclare Édouard Fillias.

Regarder la vidéo « Faut-il quitter X? » d’Édouard Fillias

Contexte politique tendu pour X

Le climat politique autour de X est particulièrement tendu et les tensions ne cessent d’augmenter. À ce jour, les départs restent limités, bien que certaines figures influentes se soient désolidarisées de la plateforme. Des scientifiques, universitaires, ainsi que certaines associations et institutions publiques ont exprimé leur volonté de se retirer. Parmi les personnalités politiques, Roland Lescure, Sandrine Rousseau, Yannick Jadot, Raphaël Glucksmann et Ludovic Mendes ont pris position.

En revanche, le gouvernement reste en retrait et peu de responsables politiques prennent la parole. Par exemple, Marine Tondelier, LFI et le RN ne se sont pas exprimés publiquement, ce dernier étant davantage concentré sur l’annonce du décès de Jean-Marie Le Pen sur X. Quant à Grégory Doucet, sa posture demeure passive.

Elon Musk, quant à lui, n’a pas répondu à l’invitation d’Emmanuel Macron pour le Sommet de l’IA du 11 février à Paris, ce qui a alimenté les critiques : “un sommet sur Internet sans Google”. L’Union européenne, tout comme plusieurs pays, intensifie sa campagne contre Twitter, le qualifiant de dangereux, comme le souligne une comparaison frappante du ministère du Numérique : “Si de la viande avariée circule en Europe, on ne va pas seulement conseiller aux gens de ne plus en manger, il faut l’interdire”. L’Allemagne envisage même un retrait officiel de X.

Twitter, du miracle à la bataille rangée, né d’un contexte et d’un usage débridé

Twitter est passé du statut de “miracle numérique” à celui de champ de bataille, forgé par un contexte et un usage débridé. Lançant la révolution de l’information en temps réel, Jack Dorsey a transformé Twitter en un outil permettant une réinvention totale du journalisme. Dans les années 2000, la plateforme offrait une liberté nouvelle par rapport aux agences de presse traditionnelles, comme l’AFP, en offrant un accès direct à l’information, tout en permettant la désintermédiation du live. Twitter est devenu le média démocratique par excellence, un véritable contre-pouvoir. En Tunisie et en Égypte, les révolutions ont démarré sur cette plateforme.

L’intensification de la polarisation des débats publics trouve ses racines dans les stratégies développées par Steve Bannon aux États-Unis, lors de la campagne de Donald Trump. Bannon a joué un rôle majeur dans la création de bulles identitaires, exploitant d’abord Facebook puis Twitter. L’arrivée d’Elon Musk à la tête de Twitter ne fait que compléter ce tableau, renforçant cette polarisation qui caractérise désormais l’espace public. Aujourd’hui, les divergences électorales se manifestent notamment chez les jeunes hommes et femmes, ainsi qu’à travers des fractures géographiques, générationnelles et idéologiques. Jérôme Fourquet parle d’« archipellisation » pour décrire cette fragmentation croissante de la société.

Twitter est désormais X, une nouvelle donne

X n’est plus simplement Twitter, mais une plateforme ambitieuse qui cherche à se réinventer sous l’impulsion d’Elon Musk. L’objectif de Musk est de transformer X en une « super app », servant à la fois son empire économique et à alimenter son intelligence artificielle, Grok. La plateforme évolue rapidement, avec un algorithme remanié par Musk, une modération assouplie, une avalanche de nouvelles fonctionnalités et l’intégration fine de Grok AI. Malgré une baisse des financements, X reste un réseau de masse, loin d’être en déclin. La plateforme reste particulièrement populaire auprès des jeunes et des extrêmes, avec une forte présence de LFI et du RN en France.

X, le canal qu’Elon Musk lance à l’humanité pour la comprendre et la rassembler

Elon Musk conçoit X comme un moyen pour l’humanité de mieux se comprendre et, peut-être, de se rassembler. Son projet dépasse largement les clivages politiques traditionnels, une erreur d’analyse courante en France, où chaque initiative est lue sous le prisme de la politique. Musk incarne une vision alternative de l’humanité, en dehors des cadres habituels, et s’inspire des grands visionnaires américains qui cherchent à résoudre des défis impossibles et à sauver notre espèce. Dans cette perspective, Trump n’est qu’un sous-ensemble de sa vision globale. X devient ainsi son canal de données et d’analyse du comportement humain, un véritable laboratoire où Musk cherche à « hacker » l’évolution de l’espèce humaine. La véritable question n’est pas d’être pour ou contre Trump, mais bien pour ou contre Musk.

Dans sa quête, Musk s’appuie sur des philosophies libertariennes, inspirées par Peter Thiel, allant de l’anarcho-capitalisme au transhumanisme, pour imaginer un « nouvel Éden » où l’humanité ne serait plus soumise à l’évolution naturelle, mais en aurait la maîtrise.

Peut-on se passer de X ?

Pourquoi X résiste-t-il ? Parce qu’il reste un réseau d’une puissance et d’une popularité indéniables. Il est crucial de distinguer l’image de X, souvent associée à Donald Trump et à l’influence de Musk, et la réalité de son usage. Alors que des figures comme Roland Lescure appellent à son déclin, X continue d’être un réseau incontournable. Sa popularité reste massive avec 11 millions d’utilisateurs actifs en France et 250 millions dans le monde. Son ingénierie s’améliore, avec une plus grande fluidité et de nouvelles fonctionnalités comme Grok. La loi de Metcalfe s’applique ici : plus il y a d’utilisateurs, plus le réseau devient influent. De plus, 10 % des utilisateurs génèrent 90 % du contenu, faisant de X un lieu de pouvoir où l’influence est concentrée.

Alors que faire au final ?

L’objectif est de restaurer la confiance entre dirigeants et citoyens en maintenant une présence minimale sur X, sans pour autant s’engager activement. Il est essentiel de rester sur la plateforme pour éviter l’usurpation d’identité et suivre les débats qui y émergent. Les marques peuvent réduire leur activité, mais les dirigeants doivent souvent rester présents pour suivre et influencer la conversation. La publicité peut être suspendue sans quitter totalement X.

Pour des entreprises comme Bouygues, une présence minimale est cruciale pour ne pas disparaître de l’algorithme, sans publicité sponsorisée. Les dirigeants maintiennent un service réduit pour suivre l’évolution des débats. Keolis adopte une approche similaire : « Nous souhaitons continuer à poster sur X car nos clients, et en particulier les élus, y sont », explique Laurent Gerbet, directeur des relations médias et e-réputation de l’entreprise. Toutefois, la marque a déjà fait évoluer sa ligne éditoriale pour limiter les interactions face à des commentaires devenus « très trash ».

L’approche adoptée par Accor suit la même logique : surveiller l’activité sans s’engager directement, en évitant de faire du départ un sujet de communication. Une sortie brutale pourrait engendrer des critiques inutiles, tandis qu’une réduction progressive permet plus de flexibilité si l’intérêt pour X renaît. « Quand il y a une crise, c’est sur X que cela se passe. Nous restons pour surveiller et suivre », ajoute Keolis, qui explore néanmoins d’autres alternatives comme Bluesky.

X demeure un lieu incontournable pour observer les évolutions sociales, comprendre les débats et se positionner en conséquence.

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