Tribunes

L’IA générative : un espoir pour la Silicon Valley, un défi pour l’Europe

Publié le 06/09/2023

Le vieux Continent ne devrait pas se perdre dans les critiques des technologies émergentes comme ChatGPT, ni dans les inquiétudes démesurées comme le remplacement des humains par les automates.

Article initialement publié sur La Tribune par Luc Julia, spécialiste mondial de l’intelligence artificielle et actuel directeur scientifique de Renault et Camille Fumard, directrice de la practice Réputation des dirigeants et autrice du « Leader du XXIème siècle : la guerre ne fait que commencer ».

Ces derniers mois, la Silicon Valley semblait avoir perdu de sa superbe. Nous avions déjà imaginé la fin de l’idéologie californienne hybridant la culture hippies/yuppies mais aussi la fin d’un lieu « où les grandes idées rencontrent l’argent intelligent », comme aime à le décrire Bill Draper, de la famille Draper, l’une des plus connues dans le domaine du capital-risque mondial. Nous portions alors notre regard vers d’autres contrées telles que la Silicon Wadi (en Israël) ou encore Shenzhen (en Chine). La Silicon Valley, dernier lieu, peut-être, du thymos (l’amour-propre) occidental dont la foi profonde est placée dans le potentiel émancipateur de la technologie, tombait alors en disgrâce. Échec du métaverse, fraude hallucinante de FTX pour les cryptomonnaies, effondrement et faillites bancaires avec notamment la banque régionale des startups, la Silicon Valley Bank…

Et, pourtant ! La Silicon Valley en a vu d’autres et n’en est pas à sa première tempête. De la « dot-com bubble » en passant par la bulle des CleanTech de 2008, elle incarne aussi cette patrie de l’échec, véritable cimetière des innovations. C’est ce lieu des rêveries vulnérables où l’échec représente un passage presque obligé pour réussir. L’esprit de conquête, en référence à la conquête de l’ouest, n’a donc jamais quitté son théâtre de jeu. On le voit récemment avec l’intelligence artificielle (IA) générative. Cette dernière percée technologique des grands modèles linguistiques LLM (s’entraînant sur des trillions de mots) a pris d’assaut l’industrie entraînant une véritable euphorie chez les entrepreneurs et startupers mais aussi les capital-risqueurs. Ce marché devrait atteindre 1.304 milliards de dollars d’ici 2032, selon Bloomberg Intelligence.

La technologie de l’IA générative permet en effet des expériences comme l’écriture d’une semaine de code en quelques secondes ou la génération de conversations textuelles qui semblent encore plus empathiques que celles que nous avons avec les humains. Autrefois associée à l’or, au pétrole, puis au silicium, ou encore à Internet, et aujourd’hui à l’IA générative, la foi profonde dans le potentiel émancipateur de la technologie bat toujours son plein. Finalement, seuls les succès, ceux qui ont un impact énorme sur le réseau, sont retenus. Et, l’IA générative a déjà changé les plans d’affaires des concurrents et des investisseurs.

IA Générative : démythifier pour mieux comprendre et préparer l’avenir

A cet égard, le vieux Continent ne devrait pas se perdre dans les critiques des technologies émergentes comme ChatGPT, ni dans les inquiétudes démesurées comme le remplacement des humains par les automates dans le monde du travail. Nous avons déjà connu deux cycles de panique liés au chômage dû à la technologie : la panique de l’externalisation dans les années 2000 et la panique de l’automatisation dans les années 2010 comme l’écrit Marc Andreesen, confondateur et associé général de la société de capital-risque Andreesen Horowitz, dans son texte « Pourquoi l’IA sauvera le monde ». Non, la technique appelle à être rationnel. AI Gore dans son célèbre discours de 1993 sur l’expansion d’un réseau informatique national l’avait, par exemple, déjà compris en posant l’expression des « autoroutes de l’information » en opposition à la vision utopique du cyberespace des années 1990. L’IA générative n’en est qu’à ses débuts. Elle va traverser des étapes, des étapes toujours domptées par des ingénieurs et architectes du numérique, mais elle façonnera tous les aspects de nos vies. On devrait voir arriver des avancées comme le perfectionnement de la mémoire des LLMs avec des fenêtres contextuelles plus larges ou encore en matière d’interactivité avec l’intégration de modèles multipodaux permettant d’aller au-delà du langage. Ainsi, selon la courbe de Gartner, l’IA générative, qui traverse à une vitesse encore jamais vue la fameuse « Hype Cycle », devrait rapidement atteindre la phase de développement éclairé puis celle d’adoption progressive.

L’IA Literacy : le pilier de l’Europe pour une adoption éclairée

Démythifier l’IA générative et son fonctionnement, c’est peut-être là que tout se joue aujourd’hui, surtout pour une Europe qui tend à freiner la technologie plutôt que ses usages (l’IA ACT étant le dernier exemple en date). Nous parlons encore de ces dispositifs comme d’un éther conscient qui nous entoure alors que les générations doivent comprendre que nous parlons en réalité de quelque chose que l’homme conçoit, fabrique et contrôle. Le vrai combat à mener pour l’avenir est la lutte contre l’ignorance et l’absence d’une solide compréhension citoyenne du fonctionnement de la tech. En effet, pour que la génération future puisse saisir pleinement les opportunités offertes par l’IA générative et relever les défis qu’elle présente, nous devons agir maintenant. L’IA Literacy, terme dérivé de la littérature numérique qui désigne la capacité d’un individu à comprendre et utiliser l’information au moyen des technologies, est l’une des clés essentielles pour affronter le monde du travail de demain, être un consommateur avisé et un citoyen responsable.

Nous devons donc initier d’urgence un vaste programme d’IA Literacy qui vise à inscrire dans les écoles, à l’université et dans les entreprises des programmes pour apprendre à connaître l’IA, ses aspects techniques, la façon dont elle perçoit le monde, collecte et traite les donnés. Ce vaste chantier éducatif permettra de former une génération éclairée capable de tempérer la perception souvent inexacte selon laquelle l’IA est une force infaillible et omnisciente mais aussi d’éclairer nos décisions. Une visée qui va d’ailleurs de pair avec le cadre réglementaire pour la gestion des risques liés à l’IA, un « code de conduite international attaché à de grands principes généraux. « Le génie de l’IA est sorti de la bouteille« , explique Cynthia Breazeal, professeur d’arts et de sciences des médias au Massachusetts Institute of Technology. Il ne s’agit pas seulement du domaine de l’informatique et du codage. Cela touche tous les aspects de la société. Savoir solliciter l’outil change la donne et offre des repères pour éviter d’être trompé ou lésé par un programme informatique. Les étudiants devront s’entraîner à obtenir les bonnes informations, à générer les bons prompts mais aussi à détecter les failles ou les biais induits par les machines, de la même manière que dans les générations précédentes ont appris le système de catalogue pour naviguer dans la bibliothèque.

En saisissant l’importance de l’IA Literacy, nous pourrons enfin opérer un glissement sémantique pour parler « d’intelligence augmentée » en lieu et place « d’intelligence artificielle », sans perdre de vue que l’outil technique est là pour d’abord optimiser l’intelligence humaine. Espérons que le nouveau ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, et le ministre délégué de la Transition numérique, Jean-Noël Barrot, vont se charger de ce vaste chantier.

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