Edouard Fillias : Pour l’agence de conseil en communication JIN, qui compte 80 collaborateurs, nous nous sommes posés la question de savoir si nous étions à la hauteur des attentes de nos équipes en matière d’égalité. Après avoir connu une croissance rapide ces dernières années, l'entreprise entre dans un âge de maturité où il importe de s'interroger. Et pour être légitime à exercer une influence positive pour nos clients, encore faut-il soi-même tenter de contribuer de notre mieux au progrès social, et apporter ainsi une pierre à l’édifice collectif.
Nous avons donc posé la question à travers un sondage interne : que pensez-vous de cette journée internationale des droits des femmes ? Pensez-vous que nous devons la célébrer ? Pensez-vous que JIN soit à la hauteur des attentes en matière d’égalité d’avancement, de rémunération et de traitement entre les sexes ?
Nous ne nous positionnons pas en donneurs de leçons : de toute évidence beaucoup de progrès restent à faire. Notre but est de poser un constat et de débuter tous ensemble une réflexion, puis une démarche assumée, en définissant une feuille de route et des objectifs. Finalement, notre choix est de nous challenger nous-mêmes.
Merve Liebelt : C’est important de nous challenger, car on ignore ce qu’on ignore. C’est la notion du « biais inconscient » : on a peut-être l’impression que tout va bien, mais c’est parce qu’on ne pose pas les bonnes questions, ou même qu’on ne pose pas de question.
C'est une réalité : les hommes ne se rendent pas compte de la façon dont les femmes prennent des décisions lorsqu'il s'agit de leur carrière. L'exemple le plus évident est le choix entre être une "bonne" mère et avoir une vraie carrière. Le simple fait que beaucoup de femmes y pensent (et je suppose que beaucoup d'hommes n'y pensent pas) devrait nous dire que peut-être, c'est toujours une bataille difficile d'avoir les deux. Lors des entretiens annuels, les femmes parlent souvent des sacrifices qu'elles doivent faire si elles acceptent une promotion, une notion que j'entends rarement - voire jamais - de la part des hommes.
Même si les droits des femmes sont respectés sur le plan juridique, il est clair qu'il faut faire davantage pour garantir une égalité et une attitude d'entreprise favorable aux femmes.
E.F. : Tout d’abord, quelques statistiques : JIN compte autant de femmes que d’hommes. Les hommes chez JIN sont payés en moyenne 1,4% de plus que les femmes. Un écart qui se resserre : cette année, après les entretiens annuels de janvier, nous constatons que les femmes ont connu une hausse des salaires 3,4 % plus élevée que les hommes. Au 1er janvier 2021, dans le groupe des personnes disposant d’un niveau Senior ou Directeur, qui sont les deux niveaux de carrière les plus élevés chez JIN, on compte 24 personnes, dont 9 femmes. Au niveau directeur, on compte 10 personnes, dont 4 femmes. Dans notre Comité de Direction, qui compte 5 personnes, mis en place en juillet 2020, on compte 1 femme.
Ces statistiques nous éclairent sur un enjeu majeur : nous n’avons pas su encourager suffisamment les carrières féminines dans le top leadership de l’agence, ainsi que dans ses niveaux Senior et Directeur. C’est une piste claire d’amélioration pour notre organisation. Nous allons, en mobilisant nos valeurs d’entrepreneuriat, de responsabilité et d’autonomie, identifier les talents dont nous aurons besoin demain, dont les talents féminins évidemment.
M.L. : Je dirige un bureau presque exclusivement féminin, le bureau allemand, qui a beaucoup de succès et qui a connu une croissance énorme en 2020 malgré la pandémie. Mon évaluation personnelle est que la culture de JIN est en majorité basée sur la méritocratie, elle respecte la performance. Mais pour être juste, je suis entrée dans l'entreprise au niveau de la direction, donc je ne peux pas raconter de l’intérieur la progression chez JIN. Je pense aussi que les statistiques ne montrent pas toujours bien que les femmes doivent parfois faire mieux pour être reconnues dans une société à prédominance masculine.
Heureusement, chez JIN, je n'ai pas connu de situation où une femme est venue me voir et s'est plainte d'un problème au travail enraciné dans le sexisme, alors que j'ai eu cette expérience dans ma vie professionnelle précédente. À JIN, je sens qu'il y a une volonté d'explorer ces questions au plus haut niveau. JIN n'a pas peur de mettre le doigt dessus, de voir ce qui ne va pas et d'essayer d'y remédier.
Et si les statistiques semblent généralement encourageantes, nous devrions nous pencher sur les défis spécifiques et individuels. Il se peut que 92 % d'entre eux soient corrects, mais cela signifie que nous devons examiner les 8 % d'histoires personnelles où les défis sont encore présents.
E.F. : Dans les réponses à ce sondage, nos collaborateurs nous ont fait part d’une très forte préoccupation pour ces sujets d’égalité homme – femme. Tous ont considéré que la journée internationale des droits des femmes était un moment symbolique important, pour dire combien la marche des femmes vers les postes à responsabilité était à la fois un objectif et un accomplissement. 75 % d’entre eux ont estimé qu’il fallait célébrer ce moment.
En ce qui concerne JIN, les collaborateurs nous ont fait passer des messages très clairs. D’une part, et c’est un soulagement, aucun ne considère que l’entreprise propose un environnement hostile ou freine les carrières féminines. En revanche, ils ont pointé un manque de transparence dans le système de rémunération, en général, et en particulier en matière d’égalité salariale.
Les collaborateurs ont également remarqué que si JIN ne discriminait pas les femmes, aucune politique ne semblait particulièrement en place pour les soutenir ou promouvoir l’égalité. Une égalité qui, en regardant nos chiffres, ne va pas toujours d'elle-même. Le fait est que beaucoup ont demandé l’émergence de plus de femmes dans le top leadership, dans les instances de direction et dans le pilotage des projets clefs. Ils nous ont demandé de mieux savoir communiquer les succès des collaboratrices féminines, au même titre que les hommes.
M.L. : Il semble qu'il y ait un manque de modèles féminins pour donner de l'inspiration et montrer qu'on peut avoir un style de management différent. Autre point que j'ai observé : les femmes au niveau des cadres supérieurs et des directeurs n'ont pas d'enfants, alors que les hommes semblent être capables de concilier la parentalité et le travail. Cela signifie-t-il que notre méritocratie rend difficile l'accès à la maternité ? Personnellement, je ne peux pas faire de commentaires car ce n'est pas une décision à laquelle j'ai été confrontée, mais je peux imaginer que la conciliation des deux serait un défi. Quoi qu'il en soit, c'est une question que nous devons nous poser et explorer.
E.F. : Nous devons nous interroger sur les statistiques et sur les retours qualitatifs du sondage lancé à l’occasion de cette journée. Il s’agit d’un sujet sur lequel je pense que nous devons installer un groupe projet, réunissant des membres du Comité de Direction, du CSE et des collaborateurs et collaboratrices de différents niveaux et d’expérience.
Cependant, quelques actions semblent à étudier en priorité :
- Nous devons être particulièrement vigilants sur les moments de parentalités. Pour les femmes comme pour les hommes c’est un bouleversement dans la vie professionnelle, et il est évident que pour les femmes cela peut être plus déstabilisant encore. Il me semble que nous devons adopter une politique d’accompagnement de ces moments, avant le départ, et au retour du congé parental, en lien avec la législation de chacun de nos pays d’implantation, mais dont la philosophie serait partagée par tous. Il s’agit d’offrir un maximum de confort et de sécurité, ainsi que l’assistance matérielle requise (crèche, garde). C’est une piste de progrès. Nous avons d’ailleurs déjà proposé une subvention pour les places en crèche des collaborateurs.
- Il faut que nous sensibilisions, probablement par la formation et le dialogue interne, le management de JIN, aux questions d’égalité. C’est une formation externe que nous identifierons cette année. Il me semble important de veiller à ce que ces notions s’incarnent dans le quotidien de l’entreprise, de l’animation des réunions, à l’attitude dans l’open-space, en passant par les process de recrutements.
- Chaque année, nous publierons nos statistiques d’égalité et ferons un point sur l’avancement de ces sujets chez JIN, comme d’ailleurs nous y sommes tenus.
Il me semble raisonnable de se donner pour objectif d’atteindre la parité complète au niveau Senior et Director d’ici deux ans (pour l’heure, ratio de 40 % de femmes). Il me semble également souhaitable que d’autres femmes intègrent, dans les deux années qui viennent, notre comité de direction, outre Merve Liebelt.
M.L. : Pour atteindre cet objectif, je ne pense pas que nous devrions remettre en question notre modèle méritocratique, mais nous devrions probablement être plus intentionnels dans la manière dont nous recrutons, par exemple en assurant la parité des candidats considérés pour les postes de direction et de cadres supérieurs. J'ai des sentiments mitigés sur la politique de discrimination positive - mais mes sentiments personnels ne devraient pas se substituer à une politique claire de l'entreprise. Et cela vaut non seulement pour la position de JIN sur la promotion des femmes dans l'entreprise, mais aussi pour la diversité en général. Nous avons besoin d'une culture d'entreprise ouverte et nous devons nous efforcer de rassembler les différentes cultures, ethnies et sexes (qui, nous le savons, ne sont pas seulement des femmes et des hommes).