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Rencontres économiques de dirigeants : Gulliver entravé ?

Publié le 01/07/2025

Les grands rendez-vous économiques doivent redevenir des lieux d’impulsion d’idées. Faute de quoi, ils risquent d’entretenir un consensus mou, bienveillant, mais incapable de faire bouger les lignes. Evitons de donner l’impression de dirigeants empêchés, tel Gulliver à Lilliput, dans le roman de Jonathan Swift estime dans cette tribune la communicante Camille Fumard.

En bonne compagnie. Pour les dirigeants, les grands rendez-vous de l’économie occupent une place de choix dans leur stratégie d’influence : ils leur permettent de se faire entendre des responsables politiques, et parfois des régulateurs. Espaces privilégiés, ils sont surtout le réceptacle de l’atmosphère générale des affaires. Formant un microclimat « en bonne compagnie », ils ont presque un rôle de catharsis collective. Avec un peu de chance, dans les couloirs, émergent quelques prises de position.

Pas de polémiques !

Les dirigeants français ont cependant une tradition tenace : celle de ne pas vouloir sortir du bois en de cultivant l’art du stoïcisme. La précipitation et la polémique sont en effet perçues comme des facteurs de risques pour leur réputation. Prudence prévaut !

Malgré le second mandat Trump qui se caractérise par une communication désinhibée, la prise de parole du dirigeant français reste un exercice contraint par l’éthique de la neutralité corporate. Peu de « petites phrases » chocs circulent pour le spectateur toujours à l’affût de propositions et de décisions audacieuses. La parole rare de l’époque Pilhan semble même désormais inspirer le patron-influenceur. Contexte l’exige ? Pas seulement. Il y a aussi un agacement général quant aux injonctions de se conformer aux tendances, comme avec le phénomène LinkedIn. Chez les dirigeants, 2025 semble marquer le pic du « cycle du hype » pour cette plateforme. 2026 en sera probablement la phase de plateau. Une réponse à un choc élastique naturel, dirait-on en mécanique.

Ite missa est ?

Au menu du débat public des Rencontres Économiques d’Aix : chocs structurels (IA, démographie, géopolitique), guerre commerciale, pression idéologique, fin de la Fin de l’histoire, accélérations inquiétantes des inégalités, ou encore embarras autour de la question climatique. Dans les couloirs, il y aura peut-être aussi des échanges sur le « syndrome du mauvais monde ». Pour les jeunes, il est important de dépasser la peur d’un monde dangereux pour « affronter le choc des réalités ». Sur ces sujets le dirigeant français est dans la situation d’un Gulliver entravé.

Les dirigeants restent dans l’attente de réponses et de changements de position de la Commission européenne ou d’un véritable programme politique en adéquation avec les enjeux du déficit public et les grandes transitions du siècle

Empêché, il l’est, car il reste dans l’attente de réponses et de changements de position de la Commission européenne (comme récemment encore avec la CSRD), ou d’un véritable programme politique en adéquation avec les enjeux du déficit public et les grandes transitions du XXIème siècle. Cette situation d’expectative, qui les rend dépendants de l’agenda extérieur, les entrave. Il fut un temps (2020-2024) où l’on évoquait les effets exogènes de l’entreprise, tels que le climat. Aujourd’hui, la focale s’est resserrée sur les tensions provoquées par une volatilité économique accrue, liée aux politiques tarifaires de Trump. Pour autant, si le sujet s’est recentré sur le business, il n’en reste pas moins complexe, avec des enjeux géostratégiques comme ceux autour de l’acier, de l’aluminium ou encore de l’intelligence artificielle et de son déploiement.

Un défi pour certaines entreprises — les dernières assemblées générales le confirmeront (ou non). Une opportunité pour d’autres, comme Accor dans le tourisme, qui semble tirer son épingle du jeu grâce à une politique d’investissements géographiquement diversifiée. Quoi qu’il en soit : la tension domine.

Selon l’économiste Dambisa Moyo, les dirigeants doivent être plus attentifs aux flux de capitaux, aux changements démographiques et aux idéologies politiques dans leurs stratégies d’affaires. À cela, il faut aussi ajouter un théâtre des opérations plus cloisonné et fragmenté sur la scène mondiale.

Une rhétorique gagne du terrain : celle du capitalisme d’excellence et de l’excellence opérationnelle. Un déjà-vu ? Oui, aux États-Unis, avec l’entrepreneur-républicain Vivek Ramaswamy, qui a enterré la théorie des parties prenantes de la Business Roundtable pour se concentrer davantage sur la mission économique des entreprises. Ainsi, si l’incertitude ne disparaît pas — elle se gère. C’est, par exemple, l’attitude du « contrôler le contrôlable », ou encore celle de gagner en agilité pour embrasser les changements structurels tels que l’évolution mondiale des classes moyennes. Un résultat des effets du trumpisme.

Les lignes peuvent encore bouger. Des attentes et des idées décisives, les dirigeants en ont. Faisons de cette invitation un rendez-vous clé pour passer à l’action. Cela ne pourra se faire qu’en cherchant la « sortie du syndrome du mauvais monde », qu’en adressant une parole décisive auprès des pouvoirs publics et des instances européennes.

Camille Fumard, directrice conseil, conseillère spéciale auprès d’Edouard Fillias, Président fondateur de JIN.

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